Vive l'Afrique : révélations accablantes sur l'empire brassicole français Castel
jeudi 10 mars 2022 à : Actualités

Conditions de travail déplorables, épuisement des ressources naturelles, épandage de produits chimiques hautement toxiques pour la santé humaine et la biodiversité, accaparement des terres, alcoolisme, marketing agressif, mers de déchets plastiques : tels sont les nombreux fléaux provoqués par le groupe français Castel, un acteur incontournable du marché des boissons. ReAct Transnational a mené une longue enquête sur ce leader du vin français qui est le deuxième du marché brassicole en Afrique. Le rapport documente comment Pierre Castel, le neuvième homme le plus riche de France, a construit tout un empire aux dépens d'un continent (bientôt disponible en anglais).
Investir dans les matières premières pour maîtriser toute la chaîne de production
Castel est un empire qui cherche à contrôler les différents maillons de l'industrie brassicole, et notamment la production des matières premières clés : le sucre est utilisé pour fournir les boissons non alcoolisées de l'entreprise, tandis que l'orge et la semoule de maïs sont essentielles au processus de fermentation de leurs bières. Ainsi, la multinationale produit 350 000 tonnes de sucre chaque année, et la croissance des investissements dans le maïs lui a permis d'acquérir une capacité de production de plus de 300 000 tonnes par an. L'entrée sur le marché agro-alimentaire n'est pas sans conséquence : l'implantation de monocultures sur des dizaines de milliers d'hectares s'accompagne d'une perte massive de diversité biologique et d'une profonde dégradation des sols, anciens et fragiles en Afrique. De même, on assiste à une recrudescence des conflits fonciers entre la société Castel et les populations indigènes dépossédées de leurs terres : rien qu'au Cameroun et en Côte d'Ivoire, la société a acquis plus de 40 000 hectares de terres, au risque de bouleverser l'ordre socio-politique et de détruire les champs autrefois cultivés par les agriculteurs. De plus, l'arrivée d'une multinationale comme Castel sur le marché agro-alimentaire stimule la demande de pesticides extrêmement dangereux, au point que certains ont été interdits dans l'Union européenne pour leur toxicité avérée sur la santé humaine et la biodiversité.
Un modèle systémique de précarité au travail
La mainmise sur différentes étapes de l'industrie brassicole va de pair avec une augmentation de la sous-traitance au sein du groupe Castel. On estime ainsi que 70% de production sont sous-traités au sein de la Société Anonyme des Brasseries du Cameroun (SABC), à Douala. Si cette filiale du groupe Castel compte officiellement 3 000 salariés directs, elle génère également 100 000 emplois sous-traités dans les domaines de la production, de la distribution (transport, vente), de l'administration, de la maintenance, de l'entretien et de l'étiquetage. Cela conduit à une multitude de statuts de travail au sein de l'entreprise : les titulaires (techniciens qualifiés, ingénieurs, cadres ou administratifs), les travailleurs sous-traitants employés par une société tierce sous contrat avec la SABC dont le seul client est la SABC (transport, étiquetage , conducteurs de chariots élévateurs) et des travailleurs sous-traitants employés par une société tierce sous contrat avec la SABC qui a d'autres clients que le groupe SABC (agents de sécurité, peintres, cordistes, maintenance). Alors que ces entreprises de sous-traitance se caractérisent par l'absence d'organisations syndicales de défense des travailleurs, un écart se creuse entre les conditions de travail et les salaires des travailleurs directs et sous-traitants : par exemple, les salaires des employés directs se situent entre 150 000 FCFA (228 euros) et 500 000 FCFA (760 euros), contre seulement 50 000 FCFA (76 euros) et 100 000 FCFA (152 euros) pour les salariés en sous-traitance à la SABC Douala.
On retrouve ces mêmes disparités au sein des entreprises agro-industrielles de l'entreprise Castel, renforçant la précarité systémique du travail au sein de la multinationale : ainsi, la Société Sucrière du Cameroun (SOSUCAM) emploie sept fois plus de précaires (7 000 saisonniers et journaliers) que travailleurs permanents (1 000). Suite à une importante vague de licenciements en juin 2021, il a été estimé que la part des intérimaires constituait près de 90% de l'effectif de la SOSUCAM. Les journaliers sont de loin les plus vulnérables : ils n'ont pas de contrat écrit, sont embauchés au jour le jour par la SOSUCAM ou via des sociétés de sous-traitance, et effectuent généralement des tâches telles que le nettoyage général des usines, la logistique, le désherbage, le glanage, ou emballer et charger des sacs de sucre sur des camions. Certains travailleurs témoignent travailler plusieurs mois de l'année en dehors de tout cadre légal de travail : au Cameroun, le travail occasionnel ne peut durer plus de quinze jours et ne peut être renouvelé qu'une seule fois. Cependant, les conditions réelles de travail des journaliers de la SOSUCAM ne correspondent à aucun de ces statuts imposés par la loi.
En conclusion, on constate que la mainmise de la société Castel sur l'ensemble de l'industrie brassicole crée un modèle de travail précaire et de pollution sanitaire et environnementale massive.
Pour mettre fin à cette impunité, les travailleurs des brasseries et des plantations vont s'organiser !